L’essence d’un tableau, quelle odeur évoque l'art?

Se promener dans le Prado, c'est traverser l'histoire à travers les yeux de certains des plus grands artistes : Goya, El Greco, Rubens, Brueghel, la liste est interminable. Tous nous ont montré à quoi ressemblait la vie il y a des siècles, le style, la nourriture, l'architecture et donc la société.

Mais depuis le 4 avril, nous pouvons également sentir l'une de ses œuvres les plus importantes, dans l'exposition temporaire «L'essence d'un tableau. Une exposition olfactive ». Un dialogue entre l'art et les sens.

L'exposition propose une nouvelle approche de la peinture par l'odorat. Pour ce faire, Gregorio Sola, parfumeur senior chez Puig et académicien titulaire à l’Academia del Perfume, occupant le fauteuil Santal, a créé 10 fragrances liées à des éléments présents dans l'œuvre Allégorie de l’Odorat.

Le tableau fait partie de la série *Allégorie des Cinq Sens *de Jan Brueghel qui, pour ces allégories féminines, bénéficiait du coup de pinceau incomparable de Rubens.

Dans cet ouvrage, qui évoque le jardin d'arbres et de plantes singulières qu'Isabelle Claire Eugénie possédait à Bruxelles au début du XVIIe siècle, plus de 80 espèces de plantes et de fleurs sont représentées, ainsi que certains animaux ayant un lien avec l'odorat, comme le limier ou la civette, et différents objets de l’univers du parfum, tels que des gants parfumés, des récipients contenant des substances odorantes, un diffuseur chauffé par un brasero et des alambics pour distiller les essences.



La richesse picturale de ce tableau pourra s'apprécier olfactivement pour la première fois, à travers 10 fragrances exclusives créées par le parfumeur Gregorio Sola.

Allegory:

Un parfum inspiré du bouquet de fleurs que sent le personnage l’allégorie féminine de l'odorat, peinte par Rubens, et qui associe la rose, le jasmin et l'œillet.

Amber Gloves:

Une fragrance qui reproduit l'odeur d'un gant parfumé à l'ambre, selon une formule de 1696, composée de résines, de baumes, de bois et d'essences florales, accompagnée d’un accord du cuir souple. La noblesse avait l'habitude de parfumer les gants pour masquer l'odeur du tannage du cuir.

**Fig tree: **

La fragrance interprète l'odeur végétale, humide, verte et rafraîchissante de l'ombre d'un figuier un jour d'été. Dans le contexte de la cour de Bruxelles, qu’évoque l'œuvre de Brueghel, c'est un arbre précieux, hors de son habitat naturel, puisqu'il pousse généralement sur les bords de la Méditerranée.

Fleur d'oranger:

L'essence de néroli, extraite des fleurs de l'oranger amer par distillation à la vapeur, est la version que l'on peut sentir dans cette exposition. Les alambics sur le côté gauche du tableau s’utilisaient pour distiller ce type d’ingrédient.
Dans le nord de l'Europe, où travaillait Brueghel, les agrumes étaient des arbres très appréciés qui se cultivaient dans des serres.



**Jasmin: *

Son parfum est délicat et intense, avec des facettes vertes et crémeuses et une légère note animale. Le matin, l’odeur du jasmin est différente de celle du soir, plus opulente. Comme d'autres plantes que l’on voit dans ce tableau, elle provient d'endroits plus chauds.



*Rose: *

C'est la plus reconnaissable de toutes les fleurs, la reine et sans aucun doute la fleur la plus utilisée en parfumerie, depuis le 1er siècle. Son parfum est frais, floral, velouté et intense, avec des facettes vertes et une légère touche fruitée, qui se combine avec des notes épicées et une subtile note de miel. Il faut six millions de fleurs, cueillies à la main à l'aube, pour obtenir un kilo de son essence. Jan Brueghel a peint huit variétés de roses, dont la centifolia et la damascena, les plus utilisées en parfumerie.



*Iris: *

C'est probablement la matière première la plus chère en parfumerie, avec une valeur supérieure à deux fois celle de l'or en raison de son processus d’obtention complexe et lent. Son absolu n'est pas obtenu à partir de la fleur elle-même, comme dans d'autres plantes, mais à partir des rhizomes, qui doivent mûrir entre cinq et sept ans. L'une des principales zones de culture est la région de Florence, qui a adopté cette plante comme symbole depuis le Moyen Âge.



Narcisse:

Son parfum est puissant et enivrant, avec des nuances d'abricot et de pêche, associées à des notes de cuir, presque olive noire, et à un fond floral à l’odeur de paille. Le narcisse est cultivé dans la région française de l'Aubrac, et à l'époque de Jan Brueghel, l'essence était obtenue par distillation, ce qui nous renvoie aux alambics du tableau.



Civette:

L’absolu, extrait de l'animal, était autrefois utilisé en parfumerie. C'est un ingrédient qui servait de fixateur pour prolonger la durée des parfums. Son odeur est forte, animale, et les parfumeurs l'habillaient d'essences de fleurs, de bois, d'épices et de baumes. Aujourd’hui, et dans cette exposition, il est reconstitué en version synthétique.



*Tubéreuse: **

La variété utilisée à cette époque était d'origine indienne et très chère; celle utilisée en parfumerie lorsque le tableau fut peint venait du Mexique. Actuellement son coût peut dépasser 10 000 €/kg. En raison de sa force et de son intensité, l'essence de tubéreuse rehausse, dans un parfum, le caractère floral des autres notes.